Cette nouvelle séance de l'atelier Histoire des Arts, animé par Lucie Pierre, est consacrée au scandale dans l'art. Nous étudierons des scandales liés à la religion, à la situation politique et aux mœurs.

Il y a scandale lorsque l'œuvre  est rejetée par l'opinion publique et/ou par un public averti. Il peut s'agir d'un langage plastique nouveau, d'une transgression des codes.

Scandales théologiques

Le jugement dernier, Michel Ange, Chapelle Sixtine 1536-1541

La nudité des corps, les allusions mythologiques à Apollon et Jupiter firent scandale. Après la mort de Michel-Ange, un de ses élèves fut chargé de recouvrir les sexes les plus visibles. Il y gagna le surnom de "Braghettone".

Le repas chez Levi, Véronèse,1573,Venise

En 1572, les religieux dominicains de l'église San Giovanni e Paolo à Venise commandent pour leur réfectoire une Cène destinée à remplacer un tableau précédent du Titien, brûlé en 1571 pendant la guerre contre les Turcs. Ils s’adressent alors à l’un des principaux « peintres d’église » de la ville, Véronèse. La seconde moitié du XVIème sicle est marquée par un regain de la censure suite aux tensions entre catholiques et réformés.

Véronèse installe le Christ et ses apôtres sous des arcades entourés de divers personnages vaquant à leurs occupations : un chien au premier plan, des hallebardiers, un nain, un bouffon et son perroquet, Pierre découpant l'agneau à la place de Jésus... Sommé de remplacer le chien par Marie-Madeleine, Véronèse refusa, ce qui lui valu d'être convoqué au tribunal de l'Inquisition. Il joua alors la naïveté, ce qui lui permit d'éviter une condamnation et sen sortit en remplaçant le titre "la Cène" par "le repas chez Levi".

La mort de la Vierge, Le Caravage 1601,musée du Louvre

Cette œuvre était destinée à la petite église Santa Maria della Scala. Elle fit scandale par son réalisme. Rien ou presque ne la distingue de n'importe quelle femme en train de mourir. On raconte que Le Caravage aurait fait poser une prostituée.

La toile resta peu de temps au mur de l'église et fut remplacée par un tableau de Saraceni sur le même thème mais plus traditionnel.

La Vierge corrigeant l'enfant Jésus devant trois témoins, Max Ernst, 1926, Cologne

Il s'agit là d'une œuvre sciemment blasphématoire... La signature du peintre se trouve dans l'auréole de l'enfant Jésus tombée à terre, l'artiste se trouvant ainsi "sanctifié", comble de l'ironie.

Piss Christ, Serrano, 1987

Il s'agit de la photo d'un petit crucifix en plastique trempé dans l'urine et le sang de l'auteur. Serrano veut à la fois dénoncer le commerce des petits objets religieux et rappeler les horreurs que le Christ a subies.

L'œuvre a suscité de nombreuses protestations et a été vandalisée par des groupes d'extrême droite lors d'une exposition en Avignon.

Nona ora, Cattelan, 1999

Le titre de l’œuvre donné par l’artiste renvoie au verset de la Bible au moment de la mort du Christ : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Évangile selon saint Marc) et la météorite représente les péchés du monde que Jean Paul II portait sur ses épaules, de la même façon que le Christ portait le péché du monde, selon l’artiste.

Cette œuvre a été exposée entre autres à Rennes et à Varsovie où elle a entraîné la démission de la directrice du musée.

Scandales socio-politiques

Le Radeau de la Méduse, Géricault,1819, musée du Louvre

Cette œuvre représente une tragédie de la marine coloniale française : le naufrage de la frégate Méduse échouée sur un banc de sable au large de la Mauritanie. Environ 150 personnes ont tenté de survivre sur un radeau de fortune. La scène se situe au moment où beaucoup sont déjà morts et où un homme africain fait signe à un bateau aperçu au loin. 

Le tableau, qui représente une scène de cannibalisme, suscite la controverse par son réalisme et tranche avec la quiétude et l'ordre de la peinture néo-classique.

De plus, le personnage qui a la vedette est un homme noir (il agite un tissu rouge en direction du bateau qui va les sauver) : l'œuvre apparaît comme une dénonciation du colonialisme.

Un enterrement à Ornans, Courbet,1849-50, musée d'Orsay

Courbet utilise le très grand format d'histoire pour peindre un événement banal, l'enterrement d'un simple habitant d'Ornans. C'est contraire aux codes de la peinture de son temps. Il peint avec réalisme les travers de la société, notamment de la bourgeoisie et du clergé. Au centre, on peut voir un petit autoportrait du peintre.

La petite danseuse,Degas,188, Washington National Gallery of Art

A cette époque, les petits rats de l'opéra étaient souvent issus d'un milieu très modeste. Leurs familles les y envoyaient afin qu'elles trouvent un "bon parti", ce qui se traduisait par des années de prostitution. On reprocha à Degas le mélange des matériaux : elle n'est ni en marbre, ni en bronze et porte de vrais vêtements et a de vrais cheveux. De plus elle n'est pas belle et toise le public d'un air effronté.

Monument à Balzac, Rodin, 1891-97

La société des gens de lettres, dont le président est alors son ami Emile Zola, demande en 1891 à  Rodin de faire une statue de Balzac, ce qu'il accepte immédiatement. Il se met alors à la recherche de différents documents (images, écrits) et décide de le représenter dans une robe de chambre de dominicain qui était sa tenue habituelle de travail. Rodin prend beaucoup de retard pour ce qu'il considère comme l'œuvre de sa vie et suscite l'impatience de ses commanditaires.

Il termine son œuvre en 1898 et l'expose au salon des artistes. Elle provoque immédiatement la controverse. "Jamais, on n’a eu l’idée d’extraire ainsi la cervelle d’un homme et de la lui appliquer sur la figure" déclare l'un de ses détracteurs. Or Rodin voulait justement montrer, outre le physique imposant de Balzac, la puissance de son œuvre. Nous sommes au moment du procès de Dreyfus. Le clivage de la société littéraire et artistique à propos de Rodin recoupe en grande partie celui lié à l'affaire Dreyfus. Finalement Rodin abandonne les acomptes déjà perçus et se retire à Meudon avec son plâtre. Il fallut attendre juillet 1939,donc bien après sa mort, pour voir le grand bronze de Rodin être érigé dans la capitale, au carrefour des boulevards Raspail et du Montparnasse.

Impression soleil levant, Monet, 1872, Musée Marmottan-Monet

En 1874, un groupe de peintres  qui combattent l'académisme et sont refusés aux Salons décident d'organiser leur propre exposition dans l'ancien atelier de Nadar. Parmi eux, Monet expose une "vue du Havre" qu'il renomme sur le conseil de ses amis "impression soleil levant".

Le tableau fait scandale : il est peint  depuis la fenêtre de la chambre d'hôtel, et non pas en atelier. Ses couleurs sont vives, on lui reproche des traits imprécis, en bref un travail bâclé. Un critique d'art, croyant faire un bon mot, titre "le salon des impressionnistes". L'impressionnisme est né. En fait, la toile tombera dans l'oubli et ce n'est que vers la fin des années 1950 qu'elle connaîtra la gloire et que sa valeur s'envolera.

Affiche promouvant le centenaire de la mort d'Egon Schiele,censurée en 2017

Egon Schiele est un peintre autrichien né en 1890 et mort en 1918. Les attitudes des hommes et femmes qu'il dessine et peint sont torturées... Ce sont souvent des nus, sans artifice, bruts... Ce qui lui vaut confiscation d'une centaine de toiles et la prison en 1912.

En 2017, on prépare le centenaire de sa mort par des expositions dans plusieurs villes d'Europe.

Des affiches dans le métro de Vienne sont censurées par des cache-sexes, ce qui ne fait que leur donner davantage de publicité.

La femme au chapeau,Matisse,1905,MAM San Francisco

C'est une des œuvres les plus connues de Matisse. Elle représente la femme du peintre.

Il s'agit d'un urinoir, acheté dans un magasin de bricolage et retourné. L'artiste, vraisemblablement Marcel Duchamp, le signe d'un certain Richard Mutt, que personne ne connaît (Mutt en anglais signifie incompétent, sale cabot...) La société des artistes indépendants de New-York refuse de l'exposer, considérant que ce n'est pas une œuvre. L'œuvre disparaît, puis ressurgit à plusieurs reprises.

Le concept du "ready made" est né: on détourne un objet préexistant de sa destination première.

Cloaca,Wim Delvoye,2000, Anvers puis divers lieux

L'artiste belge Wim Delvoye a construit une machine destinée à reproduire le processus de la digestion : les aliments entrent à un bout de la machine puis ressortent 27 heures après sous forme d'excréments. Cela lui a demandé plusieurs années d'un travail scientifique pour reproduire au mieux le système digestif humain, au point que des industriels l'ont approché pour tester leurs aliments. Ce qu'il a refusé, tout en ne refusant pas de faire du profit avec nombre de produits dérivés. L'idée est-elle que notre société moderne réduit l'homme à une machine ? Que le capitalisme ne produit que de la merde ?

Les colonnes de Buren,1986, Palais Royal

Le président François Mitterand passe commande à Daniel Buren d'une œuvre destinée à réaménager la cour d'honneur du Palais Royal qui servait alors de parking aux fonctionnaires du Conseil d'Etat. Une polémique éclate qui pose le problème de l'installation d'une œuvre contemporaine dans un site historique classé. Les opposants au projet accusent Buren et le ministre de la culture Jack Lang de défigurer le lieu, les pro-Buren les traitant de passéistes, ceci sur fond de clivage gauche-droite. Après les élections législatives, le nouveau ministre de la culture, François Léotard accepte finalement la fin des travaux en raison du droit moral de l'artiste.

Him, Cattelan, 2001

Le visiteur voit d'abord un petit garçon agenouillé en train de prier. Lorsqu'il fait le tour de la sculpture, il découvre le visage d'Hitler (qui n'est nommé que par "him", lui en allemand).

Le but est de montrer que le mal siège parfois où on ne l'attend pas, qu'il faut se méfier des apparences. Il cherche à choquer pour ne pas oublier.

L'œuvre a été exposée dans différents lieux dont le ghetto de Varsovie, où le message n'est pas toujours bien passé. La directrice du musée où l'œuvre a été exposée a été limogée.

Par contre, l'œuvre a été vendue 15 millions de dollars en 2016 par des spéculateurs...

Dirty corner, Anish Kapoor, 2011

L'œuvre, créée à Milan, a été exposée en 2015 au château de Versailles, où elle prit le surnom de "vagin de la Reine". Elle a été à plusieurs reprises vandalisée . Les royalistes considèrent Versailles comme un lieu intouchable et s'opposent à toute manifestation de l'art contemporain dans ses jardins, mais aussi et surtout parce que l'œuvre a été l'objet de tags fascistes et antisémites.

La conférence de Lucie Pierre était si riche qu'elle n'a pas eu le temps d'aborder le dernier thème, les scandales liés aux mœurs. Ce sera chose faite à la séance du 10 Décembre.

Merci Lucie !